Chantal Rouge










GALERIE RIVOLTA, Lausanne

Die Weltwoche, Zürich, décembre 1975

Traduction de l'article de Anne Cuneo

Grosse responsabilité que de jeter un oeil sur les activités culturelles en Suisse romande. En tous cas, cela prend du temps. Il s'agit d'attaquer le puzzle par un bout; aussi me suis-je déterminée à commencer par l'exposition qui m'a le plus remuée ces dernières semaines.

Chantal Rouge est âgée de 28 ans. Elle expose pour la première fois (à la Galerie Rivolta à Lausanne); elle présente une soixantaine de mine de plomb qui démontrent une maîtrise de la technique, de la forme et de l'espace.

Celui qui visite l'exposition sera saisi par la surprenante puissance narrative qui surgit de l'ensemble des images, un message issu d'une irrépressible volonté libertaire.

Les dessins de Chantal Rouge ne nous conduisent pas dans un espace imaginaire. Pas davantage que dans un monde d'images somptueuses ou extraordinaires mais dans la pathétique proximité d'une humanité au quotidien : les quatre murs lisses d'une existence triste et dénaturée.

Des individus - ni hommes ni femmes, hommes et femmes ne forment qu'un - se meuvent dans cet espace en quête d'issue. Les visages effrayés trahissent la conscience de la situation : prisonniers d'un état qu'ils n'ont pas choisi.

Commence alors une longue démarche à la recherche de la "rupture" (titre de la première série de dessins). Dans un paysage lunaire dont les falaises ont forme humaine, un homme (une femme) prend la mesure de cette paroi est tente de la remuer. La PAROI CEDE. Sous le regard de ses compagnons, il commence à s'extraire. Son corps s'enfonce dans le mur. Le mur s'écarte mais il se referme avant de livrer passage. Il se rouvre et le processus reprend. Quelques centimètres, un bras, une jambe, l'épaule, stop. Manifestement, les parois broient la poitrine de l'individu qui demeure imperturbable. Le voici enfin dehors. Derrière lui, un autre tente de suivre son exemple, à sa manière.

Mais à l'extérieur, un autre monde menace. A l'intérieur, c'était certes étroit, mais on y était manifestement en sécurité. Maintenant qu'il est à l'extérieur, il est à la merci d'un mauvais coup, exposé à tous les dangers. Surtout - il en prend subitement conscience - il est certes sorti de l'immobilité, de l'indifférence mais il n'est pas au bout de ses peines. Tout son corps est de pierre. Il se retrouve prisonnier d'un bloc de granit. Maintenant qu'il a vaincu la peur commence le combat de titans : se former, se déconstruire, quitter la dureté du marbre.

Chantal Rouge n'offre pas de solution idyllique, ne donne aucune vision de l'homme enfin libéré. Elle reflète le rude combat mais - lorsqu'on a fait le tour de l'exposition - l'issue en demeure incertaine.

Du côté des points de "non-retour" (titre d'une autre série), des visages (de vrais visages) se meuvent dans l'espace et nagent sans doute dans l'erreur vers l'avenir. Mais à la place du cerveau, ils traînent derrière eux la pierre dont ils sont issus et qu'un jour ils devront bien abandonner. Des hommes (des vrais dûment sexués, cette fois) et des femmes (des vraies) se trouvent enfin. Mais davantage que leurs esprits - Chantal Rouge montre que les têtes sont vides, ce sont les corps qui se rencontrent. Le long combat continue. Dans l'instant, ce sont les seules relations humaines possibles, celles de la peur, de la soumission. Mais la gaité des visages en errance de la dernière image appelée "Focale", nous autorise l'espoir d'une lente sortie du tunnel de granit.

Anne Cuneo

 

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